« On dit premier gaou n’est pas gaou. C’est deuxième gaou qui est gnata », chantait Magic System, le mythique groupe ivoirien. Ce message en nouchi, argot ivoirien qui appelle à une prise de conscience de son erreur, semble avoir été bien compris par certains migrants de retour volontairement sur la terre de leurs ancêtres, organisé par l’ OIM. Ce sont 5627 migrants qui ont été assistés par l’OIM dans le cadre du retour volontaire en Côte d’Ivoire sur la période de février 2017 à février 2019. 4000 migrants ont bénéficié d’une assistance pour une réintégration durable de mai 2017 à février 2019. Que deviennent ces migrants assistés ? Comment vivent-ils depuis leur retour volontaire et leur réintégration en Côte d’Ivoire ? Votre journal en ligne a enquêté les procédés pour donner une seconde chance à ces migrants jadis à l’actif de la mort. Enquête !
L’ OIM, une agence onusienne pour promouvoir la migration
Jusqu’au 19 septembre 2016, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) était une agence intergouvernementale basée à Genève en Suisse. Grâce à la signature d’un accord avec les Nations-Unies, elle est désormais qualifiée « agence de la migration des Nations-Unies » par William Lacy Swing qui en a été son Directeur général de 2008 à 2018. En Côte d’Ivoire, l’OIM s’est toujours consacrée à la promotion d’une migration humaine et ordonnée dans l’intérêt de tous. En collaboration avec le Gouvernement ivoirien, l’OIM accomplit avec ferveur ses missions, à savoir la promotion des migrations sûres et informées, la sensibilisation des populations cibles, la facilitation du retour volontaire et de la réintégration durable des migrants de retour ainsi que l’assistance et la protection des migrants vulnérables.
Le projet FFUE-OIM : Une assistance pour un retour volontaire réussie
L’initiative conjointe « Fonds Fiduciaire d’Urgence de l’Union européenne » (FFUE-OIM) a pour objectif d’aider des migrants ivoiriens bloqués le long de la Route Méditerranéenne centrale à rentrer de manière volontaire en Côte d’Ivoire et à leur proposer la meilleure assistance possible en fonction de leur vulnérabilité à travers les volets suivants :
– Aide au retour volontaire dans le pays d’origine (par voie aérienne ou terrestre),
-Assistance à l’arrivée : pécule d’appui à la réinsertion, hébergement temporaire et appui d’urgence si nécessaire, mise en contact avec les familles, assistance médicale de base disponible jusqu’à 30 jours après le retour,
– Assistance supplémentaire non-automatique dépendante de la vulnérabilité et de la motivation du bénéficiaire : appui au logement, scolarisation, assistance médicale prolongée, assistance psychosociale/psychologique, retracement familial, médiation familiale, appui alimentaire/en biens de première nécessité, formation, soutien à la mise en place d’une Activité Génératrice de Revenus (AGR).
Le retour volontaire assisté, la main tendue qui sauve des vies
Ce projet s’inscrivant dans le cadre de l’Initiative régionale FFUE-OIM qui couvre treize (13) pays de l’Afrique de l’Ouest, du Centre et la Libye, vise à contribuer au renforcement de la gouvernance des migrations et à la réintégration durable des migrants en Côte d’Ivoire, en leur fournissant une assistance au retour et à la réintégration. Selon un document de l’initiative UE-OIM non officiel publié le 10 juillet 2021, c’est au total 9049 migrants ivoiriens qui ont regagné volontairement la Côte d’Ivoire entre mai 2017 et mars 2021 dont 8278 éligibles dans le cadre du FFUE.
Plus spécifiquement, 7389 migrants ont bénéficié d’un pécule d’appui à la réinsertion pour subvenir aux besoins urgents ainsi que d’entretiens individuels approfondis visant à évaluer les compétences, souhaits et possibilités de réintégration. Au terme de la lecture du rapport mensuel (août 2021) relatif aux résultats mensuels de l’OIM Côte d’Ivoire, les migrants en situation de détresse qui sollicitent délibérément cette organisation pour un retour volontaire, de l’assistance à la réception et après l’arrivée, ils ont droit à un enregistrement, une allocation de pécule pour couvrir les besoins les plus urgents et la mise en contact avec leurs familles.
A cela, s’ajoutent des kits alimentaires et non alimentaires à travers l’identification des besoins vitaux et l’appui d’urgence (médical, psychologique, autres vulnérabilités). Une fois ces étapes remplies, les migrants candidats au retour volontaire sont briefés sur les prochains démembrements du processus à savoir l’hébergement d’urgence disponible (1 à 4 jours) et le transfert vers un centre d’accueil ou en famille ou encore des proches.
De l’année 2017 à ce jour (2021), ce sont 8507 migrants assistés au retour volontaire et à l’intégration dont 136 en août 2021 qui ont bénéficié de l’initiative conjoint UE-OIM. S’agissant des cas vulnérables, 195 enfants migrants non accompagnés et séparés ont assisté (dont 5 au mois d’août 2021) et 4473 assistances médicales ont été fournies aux migrants de retour (211 en août). En marge des assistances à la réception, 5047 assistances spécifiques dont 4473 assistances médicales ont été apportées à 2051 bénéficiaires (dont 115 femmes enceintes) et 80 kits bébé ont été distribués. 379 migrants vulnérables ont bénéficié d’un appui au logement temporaire quand 195 mineurs non accompagnés ont bénéficié d’un retracement familial et d’une assistance au retour.
En juin 2021, 212 personnes dont 154 primo-bénéficiaires ont été assistées – tout type d’appui confondu – par l’OIM. Particulièrement, l’OIM a assuré la prise en charge de 179 actes d’assistance médicale à savoir consultation, référencement clinique, achat de médicaments, etc ; pour 134 primo-bénéficiaires. Depuis mai 2017, 1828 personnes ont bénéficié d’un appui médical, dont 110 femmes enceintes, 80 kits bébé distribués. Par ailleurs, 29 personnes ont également bénéficié d’écoutes psychologiques approfondies effectuées par téléphone, vidéo conférence ou lors de visites à domicile au cours du mois de juin 2021. D’autres activités complémentaires d’appui psychosocial et de soutien aux personnes en détresse psychologique ou ayant des besoins particuliers ont eu lieu à savoir : séances de sensibilisation sur la santé mentale et l’accès aux soins auprès de 22 migrants de retour.
Enfin, durant le mois de juin 2021, l’OIM a facilité le retour de 5 mineurs non accompagnés. 189 au total depuis 2017. Trois missions de retracement familial ont également été réalisées à Daloa, Danané et Abidjan. L’assistance de l’OIM prend en compte une assistance médicale, un conseil psychosocial, des services d’orientation pour les personnes dont l’état de santé nécessite un suivi particulier, une aide en espèces pour les besoins essentiels, une orientation socioprofessionnelle et un appui à la mise en place d’un projet de réintégration.
En plus d’œuvrer au retour volontaire des migrants en Côte d’Ivoire, l’OIM, par le biais de son équipe de réintégration, poursuit l’appui aux migrants de retour à travers un programme de suivi basé sur une communication constante effectuée principalement de façon téléphonique. De retour sur les bords de la Lagune Ebrié, les agents de l’OIM accentuent leur appui par le truchement de séances de counselling individuelles directement dans le centre d’hébergement. Le counselling est une technique d’aide psychosociale et son intérêt majeur est d’accompagner les patients devant tout problème. Ce courant thérapeutique a été promu par des travaux de Carl Rogers en 1942, publiés dans son ouvrage : « Counselling and Psychotherapy ». Le counselling recouvre des entretiens d’aide ou de conseils centrés sur la personne et ses problèmes psycho-sociaux.
Le projet de réintégration, une réalité qui donne de l’espoir
En marge de la prise en charge psychologique, 2544 migrants ont bénéficié de projets individuels, 270 ont eu droit à des formations professionnelles en gestion donné par l’Agence Nationale de la Formation Professionnelle (AGEFOP) en 2018. Des projets collectifs et communautaires ont aussi été initiés. 1803 bénéficiaires de projets collectifs ou communautaires ont finalisé leurs activités de réintégration en Côte d’Ivoire. Les activités ont été mises en place directement par l’OIM ou à travers son réseau de partenaires à Abidjan, Azaguié, Bouaké, Daloa, Korhogo, San Pédro, Man, Gagnoa ; dans différents secteurs d’activités à savoir agropastoral, apiculture, aviculture, pépinière, riziculture, commerces, services et transport.
Des projets individuels et collectifs de la réception à la réintégration ont permis aux migrants volontaires assistés de retrouver une vie sociale normale et une réintégration réussie, pour la plupart, dans des activités de leur choix. Rappelons que des vols de retour ont pu être organisés au mois de juin 2021, nonobstant les frontières terrestres qui étaient fermées dans un contexte actuel de la crise du Covid- 19. Ce sont en tous 196 personnes qui ont pu regagner la Côte d’Ivoire à bord de vols commerciaux dont 139 hommes et 57 femmes. Bien que le projet FFUE initié par l’OIM et l’UE permette de répondre à la problématique de la réintégration des migrants volontaires assistés, certains ayant bénéficié de ce fonds repartent sur les routes migratoires de la Méditerranée. Ne serait-il pas opportun de créer un comité tripartite composé des partenaires que sont l’OIM, l’UE et l’Etat ivoirien pour assurer un véritable suivi des bénéficiaires pour ce phénomène ?
Témoignages de migrants volontaires assistés en Côte d’Ivoire
Dans le but de mieux s’imprégner des réalités des migrants volontaires assistés, votre journal a rencontré quelques-uns d’entre eux. Ils donnent des nouvelles de leur vie depuis leur arrivée en Côte d’Ivoire et aussi ils parlent du rôle clef joué par l’OIM et de l’UE.
Maïmouna Diarra épouse Touré, ancienne migrante
« Merci à l’OIM ! Merci à l’UE ! Merci à l’Etat ivoirien pour cette seconde chance »
Je suis allée en aventure en Libye le 14 juillet 2017 et je suis revenue le 18 octobre 2018. J’ai passé au total un an et trois mois en Libye. Mon objectif n’était de passer par ce pays pour entrer en Italie. Ce qui m’a motivé à partir, c’est le manque de soutien familial. J’ai obtenu le BTS en Gestion commerciale. Je travaillais dans le domaine de l’Agriculture notamment l’achat des produits agricoles. On était un groupe de filles dynamiques. On achetait le cacao à San Pedro et de l’anacarde dans la localité de Bouaké. On travaillait dur mais on était mal rémunérées. Alors, on s’est dit qu’il fallait trouver des financements pour financer nos projets. On a sollicité des parents et des proches pour le faire. On était 5 ou 6 filles. Personne d’entre nous n’a pas pu obtenir de financement. C’est ainsi qu’une d’entre nous, a proposé l’idée de partir à aventure. On a décidé d’aller en Europe pour chercher de l’argent et revenir financer nos projets. Sur les 6 filles que nous étions, 2 dont moi avons pris le vol pour la Libye, 4 autres ont pris la route du désert. Malheureusement, 2 de celles qui sont passées par le Sahara, ont perdu la vie. Moi, j’ai demandé à retourner en Côte d’Ivoire parce qu’il y avait trop de tragédies.
A mon arrivée, l’OIM m’a demandé ce que je voulais faire, parce qu’il proposait des formations en élevage, en Agriculture et la formation en engins. J’ai été formée par l’école 2IAE en Agriculture. La formation a duré 6 mois et dans la promotion de 50 apprenants, il y avait 15 en Agriculture. On travaillait dans les domaines des pépinières de palmiers à huile, de cacao et de banane plantain. Ces produits étaient revendus à des commerçants.
Je me sens bien aujourd’hui grâce au fonds FFUE. C’est vrai que parfois on a des souvenirs des atrocités qui remontent dans nos pensées. A mon arrivée, j’ai intégré le programme MaM (Migrants comme Messagers), une organisation qui travaille avec l’OIM pour sensibiliser les migrants à Daloa. Je travaille depuis de façon bénévole avec l’UNESCO et l’OIM dans le cadre de la sensibilisation de la population contre la migration irrégulière. J’ai aussi eu la chance de former 100 migrants et 50 membres de la communauté de retour pour qu’ils s’installent à leurs propres comptes. Je suis devenue encadreuse pour l’école 2IAE.
Merci à l’OIM ! Merci à l’Etat de Côte d’Ivoire ! Merci à l’UE. Ce sont des partenaires stratégiques qui se sont mis ensemble pour nous sauver. On souffrait dans les geôles libyennes. Ce que je reproche à l’OIM et à ses partenaires, c’est le manque de suivi. Les bénéficiaires du projet réintégration n’ont pas une structure pour faire le suivi. Ce qui fait que certains d’entre eux sont désillusionnés. Il faut un véritable suivi de l’OIM sur les organes formateurs afin que ceux-ci accompagnent véritablement les apprenants sur le terrain. Cela pourrait éviter les éventuelles idées saugrenues comme le retour à l’aventure.
A l’Attention de nos frères et sœurs migrants qui ne veulent pas revenir malgré le fait qu’ils soient en situation de détresse, je leur demande de revenir. Car, par la grâce de Dieu, nos activités prospèrent. Dans la tête, nous sommes bien. Je suis mariée légalement aujourd’hui et j’attends un enfant. Tout se passe bien. Je veux qu’ils reviennent parce que l’Eldorado, c’est nulle part ailleurs, C’est en Côte d’Ivoire. Merci à vous les journalistes pour ce travail que vous faites. Nous sensibilisons aussi et vous nous aidez dans ce sens. On travaille ensemble.
Gnadou Gnago, président de l’ARIMJ-CI (Association pour la réinsertion et l’insertion des migrants de retour et jeunes de Côte d’Ivoire)
« Une fois que l’OIM arrivait dans une prison, c’était l’espoir »
J’ai quitté la Côte d’Ivoire en 2015 pour la Tunisie et par la suite je suis allé en Libye. Lorsque tu sors de chez toi, tu cherches les moyens financiers et tu reviens chez toi (NDLR : dans ton pays). Il y a les réalités et la désinformation sur les difficultés de l’aventure. Vu les difficultés, il était pénible de revenir au pays.
Depuis mon arrivée en Côte d’Ivoire le 20 novembre 2017, j’ai bénéficié de plusieurs formations dans le domaine de l’entreprenariat et de la comptabilité simplifié avec l’AGEFOP (Agence nationale pour la formation professionnelle). Cette formation pouvait permettre à un apprenant d’entreprendre et de s’installer. Par la suite, j’ai bénéficié d’une autre formation pour les charriots élévateurs dans le Centre de formation du Groupe Bolloré où j’ai obtenu le CACES qui permet l’utilisation des charriots automoteurs de manutention à conducteur. Après ma formation, j’étais en quête d’emploi quand l’OIM a lancé un recrutement de point focal à travers ‘’Migrer-Infos’’. J’ai postulé et j’ai été retenu comme consultant. Plus de 2 ans à travailler avec l’OIM, je travaille en ce moment sur le programme MaM (Migrants comme Messagers).
Grâce à l’OIM, je me sens bien. Si je dois aller en Europe, j’irai par la bonne manière. J’irai en migration régulière. Moi, j’étais parti de façon régulière et c’est une fois là-bas que tout a changé. Actuellement, je n’ai pas de projet de voyage. Je compte aller pour me perfectionner dans certains domaines de mon métier. Si les conditions sont réunies, j’irai pour y faire une formation.
Du moment où l’OIM favorise le retour des migrants volontaires, c’est déjà de la réintégration. Quand je suis revenu, j’ai été accueilli par ma famille. Certains de mes camarades d’infortune sont revenus et n’ont pas eu cette chance. Alors, ce qui reste dans la tête, c’est de vouloir repartir à l’aventure. L’OIM a pu réintégrer certains, mais pas tout le monde. Dès que l‘OIM fait revenir des migrants volontaires et leur donner une formation professionnelle, pour moi, c’est cela la réintégration.
Moi, je pense que les migrants qui sont en détresse et qui refusent de revenir, ils ne sont pas en situation de détresse. Lorsqu’un homme est dans une situation difficile, il accepte l’aide ou le soutien de tout le monde. La Libye, c’est un autre monde. Ce que nous avons vécu… L’OIM n’a pas accès à toutes les prisons. Une fois que l’OIM arrive dans une prison, il n’y avait pas quelqu’un qui pouvait refuser son aide. Il y a certains même qui se sont évadés des prisons pour aller embarquer, mais ils étaient rattrapés et ramenés en prison. Quand vous êtes dans une prison où le trafic d’êtres humains avait pignon sur rue, c’est très difficile. Il y a des prisons où les migrants détenus cherchaient l’OIM pour proposer un retour volontaire. Je passais de cellule en cellule de la prison où j’étais détenu pour sensibiliser au retour volontaire proposé par l’OIM.
Baldé Abdoulaye, migrant guinéen vivant en Côte d’Ivoire
« Je poursuis l’OIM et depuis rien ! »
J’ai quitté la Guinée pour la Libye entre 2018 et 2019. Je voulais rallier l’Europe dans une embarcation avec 65 personnes dont 2 mineurs et 6 femmes. C’est ainsi que la Marine libyenne a mis le grappin sur nous. Ils nous ont conduits en prison. Après y avoir passé 3 semaines, j’ai eu de la chance et je suis sorti pour aller au travail forcé. C’est de là-bas que j’ai profité pour me faire la belle. Je suis arrivé à la ville de Zawiya. De là, j’ai pu rejoindre l’Algérie. Tous les migrants étaient entassés dans 9 bus de 60 places chacun. On a été arrêté par des soldats de l’Armée algérienne. Ils nous ont escortés jusqu’à 15 km de la frontière du Niger où ils nous ont relâchés et nous ont intimés l’ordre de retourner en Afrique noire. Nous sommes arrivés dans la ville d’Arlit au Niger où nous avons été pris en charge par l’OIM Niger. On nous y a repartis par nationalité à savoir guinéenne, ivoirienne, gambienne, burkinabé, malienne, congolaise, sénégalaise, etc. On a demandé à chacun de regagner sa patrie.
Moi, je ne suis pas retourné en Guinée. Je suis venu en Côte d’Ivoire. On m’a descendu à Abidjan, à la gare d’Adjamé. Ici, je ne connaissais personne. Je ne savais pas où aller. On m’a volé mon portefeuille avec toutes mes pièces administratives. J’ai été recueilli par quelqu’un et qui me prend en charge depuis mon arrivée en 2020. Après cela, j’ai rencontré des membres de l’Ong ASIE (Africain Stop immigration by Entrepreneurship) qui m’ont conduit à des rencontres organisées par l’OIM. Mais depuis un an, il n’y a rien.
Une correspondance particulière de Patrick Krou