“Séquestré” au violon du commissariat du 18e arrondissement de Cocody pour des allégations de vol d’un enjoliveur de voiture, voici le film de la mort du jeune Hamed Konaté.
Mort de Hamed Konaté: Les avocats ivoiriens dénoncent la violation du principe de la présomption d’innocence
Après une rencontre en date du mercredi 15 décembre 2021 avec monsieur Kouassi Atsé Clotaire, gérant de la station de lavage, employeur de feu Hamed Konaté, décédé dans sa cellule du 18e arrondissement de Cocody Riviera 3, le 14 novembre 2021, le Conseil de l’ordre des Avocats de Côte d’Ivoire a produit le communiqué ci-joint :
« Le samedi 27 novembre 2021, Hamed Konaté, mort dans les locaux du commissariat du 18ème arrondissement de Cocody sis à la Riviera 3, a été porté en terre.
I. Les faits
Le vendredi 12 novembre 2021, Hamed Konaté, employé dans une station de lavage à la Riviera 3 à Abidjan, était commis au nettoyage d’un véhicule de marque Range Rover.
Le client, après avoir récupéré son véhicule et réglé le service, revenait une heure plus tard, se plaint du vol de l’enjoliveur de son pare-brise, qu’il estimait s’être déroulé lors de l’exécution de la prestation.
La gérante de la station de lavage, quant à elle, déclinait toute responsabilité, au motif logique que le constat dudit vol avait été effectué après la réception dudit véhicule, en dehors des limites de son établissement, et enfin et surtout, en l’absence de ses collaborateurs préposés au lavage.
Mais convaincu pour sa part que le vol avait été bel et bien commis au sein de la station de lavage, le client s’en allait saisir le commissariat du 18e arrondissement.
Moins d’une heure plus tard, deux fonctionnaires de police convoyés à bord du véhicule du plaignant, faisaient iruption, et sans la moindre explication, se saisissaient de la gérante et de ses collaborateurs pour les conduire audit commissariat.
La gérante sera autorisée à quitter le commissariat, après y avoir été retenue en dehors de tout cadre légal, en raison, selon ses dires, de son état de grossesse. Ses deux collaborateurs, dont Hamed, n’ayant pu raisonnablement revendiquer un état similaire, seront, quant à eux, immédiatement placés en cellule.
Les conditions certainement brutales de cette détention sur Hamed, déjà atteint d’une maladie respiratoire chronique (asthme), déclenchaient une crise.
Ses compagnons de cellule, appelaient au secours les officiers de permanence. Ces derniers croyants qu’Hamed simulait, lui donnaient des coups sur la plante des pieds pour le forcer à se mettre debout. Incapable de se lever tout seul, finalement Ahmed était conduit dans un hôpital à Anono.
Après y avoir reçu des soins, il retournait en cellule, et faisait de nouveau, une crise plus violente, cette fois.
Pour les agents de police encore alertés par les voisins d’Hamed, c’était le dérangement de trop, de sorte qu’ils choisissaient délibérément de ne plus prêter attention aux nombreux appels et supplications de détresse.
C’est au prix de cette inhumaine indifférence à l’agonie d’ Hamed, que celui-ci s’éteignait lentement, inexorablement dans sa cellule du 18e arrondissement, ce dimanche 14 novembre 2021, et ironie du sort, veille de notre Journée nationale de la Paix, qui ne lui aura pas en définitive été paisible.
II. L’analyse
Si tout citoyen estimant être victime d’une infraction a le droit de porter plainte entre les mains des autorités compétentes, il revient en revanche aux agents et officiers de police chargés d’enquêter, de veiller au scrupuleux respect des règles de procédure y afférentes, faute de quoi, leurs agissements sont revêtus du sceau de l’illégalité, de l’arbitraire.
Or les faits ci-dessus décrits, sont ponctués d’un florilège d’irrégularités et de violations des droits humains élémentaires tant en ce qui concerne, la descente de la police dans la station de lavage, l’arrestation subséquente des employés, leur transfert au poste de police, leur enfermement et les traitements y infligés.
Le silence gardé par la police elle-même, jusqu’ à l’évidence du décès d’ Hamed Konaté, qu’il n’était plus possible de dissimuler, interroge et interpelle :
Hamed aurait- il été vraiment battu même sur la plante des pieds, comme le soutiennent ses compagnons d’infortune, par des policiers afin qu’il cesse de simuler l’asphyxie ?
La qualité d’agent de force de l’ordre confèrerait-elle dorénavant, par cela seul, en Côte d’Ivoire, une permission d’infliger des sévices corporels et/ ou moraux sur tout individu appréhendé, de surcroit en marge de toute légalité procédurale.
Le procureur de la République a-t-il été informé des faits et a-t-il subséquemment autorisé cette garde à vue ? Faute de quoi, cette mesure restrictive de liberté unilatéralement prise, s’apparente à une séquestration pure et simple.
Hamed Konaté, citoyen de ce pays, est mort dans la douleur, dans l’isolément, dans l’abandon de la République et dans le reniement de ceux qui sont consubstantiellement chargés de protéger sa dignité.
L’émotion liée à cette disparition tragique s’étant quelque estompée, l’heure d’en répondre est arrivée et toutes les mesures devront être nécessairement prises à l’effet de situer les responsabilités, et d’éviter sinistre récidive.
L’Ordre des Avocats de Côte d’Ivoire, vigie de l’Etat de droit, rappelle que les cellules des commissariats ne peuvent et ne doivent pas être des lieux de séquestration ou des mouroirs, et rappelle que la garde à vue est une mesure à manier dans le respect des textes en vigueur, en relation avec la dignité des mis en cause, et dans le respect de la présomption d’innocence.
Fidèles à leur serment, les avocats de Côte d’Ivoire se tiennent résolument aux côtés de la famille d’Hamed Konaté et le cas échéant, de toutes les personnes victimes d’abus de tous ordres, en offrant l’assistance gratuite d’un avocat afin que justice soit rendue.
L’Ordre des avocats de Côte d’Ivoire se tient en outre utilement saisi et suit avec attention les suites des enquêtes annoncées par le commissaire du gouvernement dont la promptitude de la réaction est à saluer, de même que la décision de relèvement immédiat desdits officiers de police subséquemment adoptée par monsieur le ministre de l’Intérieur, sur les circonstances de la mort d’Hamed Konaté et sur la chaîne des responsabilités de cet infâme drame.
L’Ordre des avocats invite l’ensemble des Ivoiriens à se rapprocher de ses instances pour s’informer de leurs droits au cours des enquêtes préliminaires de police et de gendarmerie, notamment sur la possibilité qui leur est offerte par la loi de se faire assister par un avocat à ce stade de l’enquête.
Pour l’Ordre des avocats de Côte d’Ivoire.
Le Bâtonnier Claude Mentenon.