
Les lampions se sont éteints sur la cérémonie de remise du prix Félix Houphouët-Boigny-Unesco pour la recherche de la paix, à Yamoussoukro, laissant l’image d’une Côte d’Ivoire où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. La lauréate, l’ancienne chancelière allemande, Mme Angela Merkel, qui est venue, a été célébrée et est repartie. La fête, pour ceux qui y étaient, fut belle, conviviale et fraternelle, où sourires et mots aimables, furent distribués à satiété.
Côte d'Ivoire: Peut-on objectivement attribuer un prix pour la paix à Angela Merkel, au moment où des milliers d’ukrainiens et de russes meurent chaque jour ?
La présence des trois personnalités, Bédié, Gbagbo et Ouattara, qui cristallisent le paysage politique ivoirien depuis des décennies, fut très remarquée et diversement appréciée. On ne peut non plus passer sous silence, les chefs d’Etats africains qui ont tenu à honorer de leur auguste présence cette cérémonie. Pour ces quelques moments de retrouvailles et de réjouissance, on oublia la cherté de la vie et son corollaire de souffrance pour les ivoiriens, on oublia aussi que des civils et des militaires sont toujours écroués dans les sous-sols du pays, pour ne parler que de paix dans une atmosphère feutrée. Les allocutions furent tout aussi policées. Le chef de l’Etat ne put s’empêcher de faire « l’attalaku » de la lauréate, Mme Angela Merkel. Il a relevé que depuis l’accession de celle-ci à la tête du gouvernement allemand, jusqu’à la fin de ses mandats constitutionnels, elle n’a eu pour crédo que la recherche du compromis et de la paix.
Il continua pour assener : « ...L’action qui a le plus retenu l’attention du jury, à l’unanimité, a été la décision fort courageuse que vous avez prise en 2015 d’accueillir plus d’1,2 millions de réfugiés venus de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan et d’Erythrée... ». Il a mis en parallèle cette décision avec « les valeurs et idéaux d’hospitalité et de fraternité prônés par le président Houphouët-Boigny ». Le président Henri Konan Bédié, «protecteur du prix », a profité de la tribune qui lui est offerte pour rappeler que si l’heure est à la célébration de la paix, de la fraternité, la Côte d’Ivoire actuelle ne les vit pas. Tout au contraire, les ivoiriens continuent de se regarder en chiens de faïence.
Morceau choisi : « ...J’ai aussi une pensée pour mon pays, la Côte d’Ivoire qui peine à engager un dialogue franc et sincère entre tous les fils et filles, pour construire une paix durable au service du bonheur de ses populations et de celles de l’Afrique de l’Ouest... ». C’est un véritable pavé jeté dans la mare du pouvoir ivoirien. Celui s’échine à présenter à l’extérieur une image policée d’une Côte d’Ivoire en développement, avec routes, ponts et autres échangeurs publiés à tout va, donnant l’illusion que tout va bien à l’intérieur. Mais la réalité est toute autre. Des hommes et des femmes, civils et militaires continuent de croupir dans les prisons du pays depuis 2011. Le pouvoir continue de freiner des quatre fers ou de louvoyer quand il s’agit de faire des réformes politiques, à l’effet d’éviter de revivre les crises de 2011 et de 2020.
Voir aujourd’hui Mme Merkel, sur les images, rire et plaisanter avec le président Gbagbo, qui pour l’Union Européenne incarnait le diable, est vraiment surréaliste
Si on peut féliciter la chancelière Angela Merkel pour avoir été choisie par le jury du prix Houphouët-Boigny, on ne peut s’empêcher de se poser des questions quant à son statut de « faiseuse » de paix. On se rappelle que, membre influente de l’Union Européenne, elle n’a eu aucune réaction, quand l’Union Européenne a soumis la Côte d’Ivoire à toutes sortes d’embargos, en 2011, y compris un embargo sur les médicaments. Cette décision inique fit mourir de nombreux malades ivoiriens qui ne pouvaient pas avoir les médicaments pour soigner le mal qui les rongeait. C’est sans état-d’âme que les pays de l’Union Européenne ont appliqué cet embargo et tentent même de le justifier.
Pour ceux-ci, la « Communauté Internationale » ayant reconnu M. Ouattara comme vainqueur de l’élection présidentielle de 2010, il fallait punir M. Gbagbo qui « s’accrochait » au pouvoir. Peu importe le nombre de morts, pourvu que M. Ouattara accède au pouvoir. Ils ont balayé du revers de la main, le recomptage des voix proposé par le président Gbagbo, qui aurait pu éviter ce que le pays a vécu. Mais, les pays de l’Union Européenne, n’ont pas de politique propre quand il s’agit de l’Afrique francophone. Ils s’alignent systématiquement par solidarité, sur les positions de la France, bonnes ou mauvaises ; ceci explique certainement cela. C’est pourquoi, voir aujourd’hui Mme Merkel, sur les images, rire et plaisanter avec le président Gbagbo, qui pour l’Union Européenne incarnait le diable, est vraiment surréaliste ; un véritable « didiga », l’art de l’impensable comme le dirait le professeur Zadi Zaourou.
D’autre part, dans le conflit ukrainien, la France de François Hollande, l’Allemagne de Merkel et la Russie de Poutine, étaient le garant des accords de Minsk, censés apporter la paix en Ukraine, entre le pouvoir de Kiev et les régions russophones, qui manifestaient des velléités d’autonomie. De leurs aveux, François Hollande et Angela Merkel ont révélé que ces accords n’avaient pas pour objectifs de ramener la paix en Ukraine, mais permettre à celle-ci de gagner du temps à l’effet de renforcer sa puissance militaire et en découdre avec la Russie. Au regard de tout ce qui précède, au regard de cette félonie, et de cet abus de la bonne foi des russes, peut-on objectivement attribuer un prix pour la paix à Mme Merkel, au moment où des milliers d’ukrainiens et de russes meurent chaque jour ? Ainsi va le monde. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.