Le 15 octobre 1987, le capitaine Thomas Sankara était assassiné avec 12 autres de ses compagnons par un commando. Plus de 30 ans après les faits, le tribunal militaire de Ouagadougou a décidé, le 13 avril 2021, de mettre en accusation l’ancien président Blaise Compaoré, aujoutrd’hui exilé en Côte d’Ivoire, Gilbert Diendere et 12 autres personnes, pour attentat à la sûreté de l’État, complicité d’assassinat et recel de cadavre. Dans un entretien accordé au site d’informations burkinabé, Lefaso.net, Mousbila Sankara, ex-ambassadeur du Burkina en Libye sous la Révolution, s’est prononcé sur ce dossier de l’assassinat de Thomas Sankara. Nous vous proposons juste quelques larges extraits de cet entretien…
Mousbila Sankara (ex-ambassadeur du Burkina en Libye sous la Révolution) à propos de Blaise Compaoré et autres: « Diendéré voulait les liquider »
Pensez-vous que si la France était impliquée le dénouement aurait été autrement ?
Le dénouement aurait été plus intelligent. Jusqu’à présent, je ne vois pas quelque chose d’extraordinaire qui s’est passé le 15 octobre (1987). Quelqu’un qui voudrait tuer son ami n’aura pas besoin d’apport d’une tierce personne (puisqu’il jouit de sa confiance). La France s’en serait mêlée qu’elle aurait quand même porté des gants ; elle ne laisserait pas faire une bêtise pareille. Thomas Sankara est mort et enterré avec les autres, quel que soit le résultat du tribunal, on ne pourra jamais retrouver physiquement l’intéressé. Pourquoi poursuit-on ? C’est pour essayer de laver un peu sa mémoire ; on lui impute l’intention d’avoir voulu intenter un coup d’Etat, cette intention a eu pour conséquence, sa liquidation. Cela fait 30 ans qu’on est prêt à supporter qu’on ait tiré sur quelqu’un à qui on a prêté des intentions et on laisse circuler celui qui l’a fait. La poursuite vise donc à rétablir une situation républicaine, qui est que la loi doit s’appliquer à tous.
Pensez-vous que la justice a aujourd’hui agi de façon indépendante ?
Oui, parce que beaucoup d’acteurs du 15 octobre sont encore là, ils auraient pu l’empêcher. Ceux qui ont organisé le coup d’Etat, ceux qui ont mis en exécution, ceux qui ont aidé après à gérer dans le sens du pouvoir, etc., beaucoup sont là et auraient pu empêcher le tribunal d’avancer. Je pense que le tribunal a simplement décidé de jouer son indépendance. Vous dites qu’on lui a prêté une intention de faire un coup d’Etat pour pouvoir le liquider. A contrario, une certaine opinion dit aussi que tous les deux camps avaient l’intention et que c’est le premier à dégainer qui a pris le dessus ! Effectivement, sauf qu’aucun de ceux qui tiennent cette déclaration n’a apporté un élément pour appuyer ce qu’ils disent. Or, nous sommes en justice, les sentiments et ressentiments ne sont pas des éléments de preuve.
Vous qui étiez du sillage, cette tension à en découdre était-elle palpable entre les deux camps ?
Je n’avais pas cette impression, mais je savais que ça pouvait arriver ; parce qu’avant que Hyacinthe Kafando et autres ne tirent sur Thomas (Sankara) pour le compte de Blaise Compaoré, le fusil du miliaire burkinabè avait déjà tiré sur d’autres Burkinabè, corps habillés. Et les tirs ne se sont pas arrêtés à Thomas (Sankara) et compagnie (dont on dit politiquement qu’il préparait un coup), il y a eu Lingani et Henri, le chef d’Etat-major et ministre de l’Economie, qui ont aussi été zigouillés sans procès. C’est pourquoi il faut faire le jugement pour ne pas banaliser la mort. Aussi, il ne faut pas oublier que ce soit Thomas, Henri ou bien d’autres situations, il y a un lien, Diendéré, qui est la manivelle. Il a toujours été à la base de beaucoup de coups. Ceux qui ont été sur les lieux disent même qu’il aurait buté Blaise (Compaoré), n’eût été l’attitude de ‘’ le Lion’’ (Boukary Kaboré). Sinon Blaise devait partir aussi comme Thomas. C’est la réaction de Boukary (Kaboré) qui l’a sauvé. Donc, Diendéré rêvait toujours du pouvoir, jusqu’à ce que le putsch du 16 septembre 2015 vienne mettre fin à son rêve.
Voulez-vous dire qu’il avait l’intention de liquider les leaders ?
Oui, il allait le faire et Blaise Compaoré allait subir le même sort que Thomas. Ce sont les circonstances qui ne lui ont pas permis. A la tuerie du 15 octobre, ‘’Blaise était là, mais il dormait’’. Par contre, pour Lingani et Henri, il n’était même pas sur place au Burkina. Après, il y a eu le cas des Otice et compagnie, Diendéré voulait les liquider, mais Hyacinthe connaissant Diendéré, il a fui avec certainement la complicité de Blaise. Le 16 septembre 2015, il n’a pas réussi parce qu’il n’était plus en mesure de pouvoir entrer facilement en contact avec les chefs d’Etat.