Dans l’entretien qui suit, Dr Antoine Mian, auteur de « la cohérence de la politique éducative pour le développement de la société du savoir en Côte d’Ivoire », explique pourquoi la Côte d’Ivoire doit mettre les TIC au cœur de sa politique de formation.
Antoine Mian donne les avantages des TIC dans la politique de formation en Côte d’Ivoire
Vous avez décidé de vous pencher sur la thématique de la politique éducative en Côte d’Ivoire. L’enseignement en Côte d’Ivoire est-il aujourd’hui en accord avec les exigences du monde?
Généralement lorsque qu’on parle de l’éducation en Côte d’Ivoire, la majorité des parents d’élèves pensent tout de suite à l’établissement scolaire, la classe, le maître ou le professeur. On oublie que ces acteurs ne font que mettre en œuvre une politique éducative qui n’est souvent pas élaborée par eux. Pourquoi avoir décidé de parler de la politique éducative ? C’est justement parce qu’en tant qu’enseignant, mon rôle est d’enseigner et de partager la connaissance. Et il m’est apparu opportun, au moment où l’école ivoirienne traverse des moments de tension, de parler de son fondement : la politique éducative.
Est-ce que l’enseignement en Côte d’Ivoire est en accord avec les exigences du monde ?
Pour répondre à cette question, il faut que je dise un mot sur les exigences du monde actuel. Aujourd’hui, nous sommes de plein pied dans la 4ème révolution industrielle que certain appelle la société du savoir. Lorsque vous lisez l’actualité, vous allez vous rendre compte que les 3 ou 4 premières grandes entreprises du monde par capitalisation boursière ont une caractéristique commune. Leurs matières premières ce n’est ni le café, ni le cacao encoure mois le pétrole. Leurs matières premières c’est l’information. Ainsi, l’exigence du monde actuel est le développement de la société du savoir ou l’information est la matière première par excellence. C’est justement pour répondre à votre question de départ que j’ai écrit cet ouvrage pour que les lecteurs se rendent compte d’eux-mêmes si notre système éducatif tel qu’il est aujourd’hui, peut nous permettre de pouvoir être des acteurs majeurs de la société du savoir.
Votre ouvrage se contente-il de dépeindre un tableau ou propose-il des solutions aux acteurs du système éducatif?
Dans mon ouvrage, j’ai adopté une démarche prospective appelée aussi démarche futuriste. De façon générale, dans une telle démarche, on commence toujours par dépeindre la situation en faisant une analyse du cadre général afin de faire émerger des signes et tendances. Mais en lieu et place des solutions, on construit des scénarios en se basant sur l’analyse des impacts de ces tendances. J’ai opté pour cette façon de faire pour amener les acteurs du système éducatif à la réflexion, afin qu’ensemble et en connaissance de causes, nous puissions élaborer une politique éducative qui répond à nos besoins et aux exigences du monde actuel.
Selon vous, jusqu’à quel niveau les TIC doivent intervenir dans le système éducatif de Côte d’Ivoire ?
Les TIC doivent aujourd’hui intervenir de façon transversale dans le système éducatif ivoirien parce qu’utiliser de façon intelligente, elles peuvent nous permettre de répondre à des problématiques rencontrées actuellement. Je vais étayer cela à travers mon expérience. En 2007, lorsque je m’inscrivais à l’Université de Montréal pour faire un Ph.D. tout en restant à Abidjan, beaucoup de mes collègues à l’ENS d’Abidjan ni croyaient pas. Parce que pour beaucoup en ce temps, les TIC et surtout l’internet étaient plus ludiques. Lorsqu’en 2010 j’ai soutenu ma thèse, ils ont compris qu’avec les TIC de nouvelles façons d’enseigner, d’apprendre et de faire de la recherche étaient possible. Après la soutenance de ma thèse en 2010, je me suis investi dans la communauté Web de Côte d’Ivoire pour accompagner les acteurs en partageant mon expérience avec eux. A l’état embryonnaire en 2010, cette communauté fait aujourd’hui la fierté de la Côte d’Ivoire sur la scène aussi bien africaine que mon mondiale. A travers cette expérience, on se rend compte qu’avec les TIC, il y a une voie alternative pour adresser les questions d’employabilité des jeunes en Côte d’Ivoire. Depuis 2016, nous avons, en tant que Sous-directeur de la Techno pédagogie à l’Université Virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI), mis en œuvre un dispositif innovant de formation dans l’enseignement supérieur ivoirien. Basée sur l’usage intelligent des TIC, cette disruption nous a permis d’aboutir à un changement radical de paradigme : « nomadiser » l’enseignement supérieur en le rapprochant des populations. Aujourd’hui, après trois années de fonctionnement, environ 5000 étudiants régulièrement inscrits prennent des cours à distance à travers une plateforme de formation en ligne. En plus de favoriser la recherche et l’accès équitable à l’enseignement supérieur, ce dispositif englobe une dimension qui n’est souvent pas prise en compte dans les universités : l’employabilité et la création d’emploi.
Que gagnerait la Côte d’Ivoire à mettre les TIC au cœur de sa politique de formation?
Dans mon ouvrage, l’analyse des impacts a permis de construire deux scénarios. A la lecture de l’ouvrage, chacun se fera sa propre idée de ce que la Côte d’Ivoire gagne ou ne gagne pas en intégrant les TIC dans son système éducatif. Je voulais encore insister sur le fait qu’à travers cet ouvrage, je veux que le débat puisse s’ouvrir en connaissance de cause sur la place que la Côte d’Ivoire doit donner aux TIC dans l’élaboration et la mise en œuvre de sa politique éducative.
Combien de temps vous a pris la rédaction de cet ouvrage et à qui s’adresse-il?
La réflexion sur cet ouvrage a débuté en 2015 à l’occasion d’une formation portant sur le Leadership Africain dans les TIC (LATIC) délivrée par GESCI, la Task force de l’ONU sur les questions de TIC. Mais cette réflexion se nourrit de mes vingt années d’expérience dans le système éducatif ivoirien en tant que professeur certifié des lycées et collèges ; en tant que formateurs de formateurs à l’ENS d’Abidjan et enfin en tant que membre de l’administration universitaire. L’ouvrage s’adresse aux acteurs du système éducatif ivoirien. Lorsque je parle d’acteurs, je fais allusion aux parents d’élèves, aux enseignants et aux décideurs politiques. Mais ma cible première ce sont les parents d’élèves. Parce que pour moi, c’est lorsque les parents d’élèves vont s’approprier les questions éducatives que le pays pourra se doter d’une politique éducative cohérente qui répond à ses besoins et qui participe au développement de la société du savoir en Côte d’Ivoire.