Décédé le 12 août 2019, Dj Arafat a été inhumé samedi 31 août dernier après un hommage mérité de la nation le vendredi 30 août au stade Félix Houphouet-Boigny. Contre toute attente, le corps de l’artiste a été exhumé par des fans surexcités peu après son inhumation avant d’être remis en terre un peu plus tard sous haute surveillance policière. Pour comprendre ce qu’il s’est passé ce jour, le journaliste, écrivain et politologue camerounais, Vincent- Sosthène FOUDA, revient sur des histoires des dépouilles exhumées, dépecées par des fans dans le monde entier, et plaide la tolérance pour les profanateurs de la tombe de Dj Arafat. Ci-dessous l’intégralité de sa contribution.
Dj Arafat, un saint de notre temps face à la délinquance par amour par Vincent- Sosthène FOUDA
Depuis l’apparition de la vie en société, les hommes qui marquent particulièrement leurs contemporains sont élevés au rang d’idoles et/ou de saints. Autour d’eux se développe ce que les sociologues appellent la délinquance par amour. C’est ainsi par exemple comme nous le rapportent les historiens, que la dépouille de St-Thérèse d’Avila, décédée le 4 octobre 1582 à Alba de Tormes, fut disséquée et les membres repartis dans différents monastères. L’histoire faite belle rapporte cependant que ce ne fut qu’un incident entre deux couvent celui de saint-Joseph d’Avila et celui de Alba et que ce n’est qu’un bras qui fut coupé afin que le couvent d’Alba puisse conserver une relique alors que le reste de la dépouille était transféré le 25 novembre 1585 à Avila. Quoi qu’il en soit, les histoires des dépouilles exhumées, dépecées par les fans sont légions et ceci dans le monde entier.
L’histoire contemporaine nous fournit une multitude d’exemples de délinquance par amour depuis le vol dans la nuit du 9 au 10 mai 1988 du buste de Jim Morrison au cimetière du père Lachaise jusqu’à la profanation le 1er mai 2017 de la tombe de Romy Schneider au cimetière de Boissy-sans-Avoir dans les Yvelines, où elle repose dans une relative discrétion depuis son suicide en 1982. La pudeur nous interdit de dire ce qui fut pris, ce qu’on fit de la dépouille. J’ai lu il n’y a pas très longtemps alors que je passais mes vacances dans la petite commune de Corsier sur Vevey dans les Vaud Suisse, l’histoire du vol du cercueil de Charlie Chaplin par un polonais de 23 ans en 1978.
« Ange-Didier HOUON, DJ ARAFAT comme Robert Nesta Marley »
Dans la nuit du 2 mars 1978, Rochat et un complice profanent la sépulture et emportent, sous la pluie, le cercueil de Charlie. Le lendemain, la famille horrifiée reçoit un coup de fil, Rochat demandant un million de francs pour restituer le corps. Il aura fallu attendre deux mois pour que le coupable soit retrouvé ainsi que le cercueil de Chaplin enterré à la hâte par ses kidnappeurs, au bord d’un lac. Rochat écopa de 4 ans et demi de prison. Y a-t-il un journaliste qui ignore ce qu’il advint de la dépouille du présentateur vedette de la télévision italien Mike Bongiorno décédé le 8 septembre 2010, il y a seulement 9 ans ?
Au cimetière d’Arona, son cercueil fut enlevé le 25 janvier 2011, et jusqu’à ce jour aucune trace de la dépouille de cet homme décédé à 85 ans qui me fascina jeune journaliste n’a été retrouvée. Ange-Didier HOUON, DJ ARAFAT comme Robert Nesta Marley, l’idole des laissés pour compte, ceux pour qui Léon-Gontran Damas écrit : nous les peu nous les rien nous les chiens nous les maigres nous les Nègres Nous à qui n’appartient guère plus même cette odeur blême des tristes jours anciens Sa tombe a été ouverte, son cercueil sorti « pour vérifier si c’est bel et bien lui qui y est » témoignent les « chinois » ces enfants de la rue qui le prenaient pour un des leurs et même s’ils n’ont pas été exclus de l’organisation des obsèques, celle-ci leur a échappé à un moment.
Oui en effet, le pouvoir politique ivoirien a été dans son rôle d’ouvrir des obsèques à cet ambassadeur de la musique de rue devenu le symbole et l’icône de la musique ivoirienne puis une star de la musique africaine, celui en qui beaucoup de jeunes dans le monde se reconnaissaient. En même temps, le même gouvernement n’a pas voulu interroger les « chinois » sur ce qu’ils voulaient vraiment pour un des leurs, il n’a pas voulu leur présenter le corps de celui qui leur ressemblait à tout point de vue et en lequel ils se reconnaissaient. « La plus grande faiblesse de la pensée contemporaine me paraît résider dans la surestimation extravagante du connu par rapport à ce qui reste à connaître. »
« DJ Arafat n’était pas un être ordinaire »
De partout de nombreuses voix s’élèvent pour condamner l’acte des « chinois », l’acte des gueux des peu des rien des chiens des maigres des nègres Il serait important de s’enraciner dans l’histoire des cadavres extraordinaires et tous les essais de thanatologie mystique en passant par l’histoire des saints à laquelle la tradition judéo-chrétienne se réfère pour découvrir le florilège d’exemple et d’explications toutes rationnelles. DJ ARAFAT n’était pas un être ordinaire, on ne peut donc pas s’intéresser seulement à son vécu. Le peuple, les « chinois » qui sont ces millions d’hommes et de femmes restés orphelins depuis ce tragique accident veulent autre chose qui soit la non mort :
« Arafat n’est pas mort », voilà ce que pendant 18 minutes « Ténor » un musicien camerounais venu rendre un dernier hommage à son collègue a fait scander au stade Félix Houphouët-Boigny en transe dans la nuit du 30 au 31 août. Ce que les postulateurs de la cause de la canonisation de DJ ARAFAT attendent c’est que nous les bien-pensants de la bienveillante scolastique leur disions: c’est que le corps de Ange-Didier Houon ignore la rigidité cadavérique, qu’il ignore la corruption et que finalement, il est le fruit et la trace d’une vie extraordinaire. Le gouvernement ivoirien ne s’y est pas préparé, il a ignoré ce désir de canonisation, il a ignoré la frange la plus importante de son peuple.
A ceux qui organiseront un jour les obsèques de Didier Drogba, de Samuel Eto’o, peut-être s’y préparent déjà. La foule polonaise en délire à la place saint-Pierre de Rome criait « Santo Subito » et n’est pas retournée les mains vides en Pologne puisque le coeur de Jean-Paul II y repose désormais. Le saint Pape avait laissé cette note dans son testament « Écoutez le peuple polonais pour mon enterrement. » Cette foule est la même qui crie à Abidjan, à Yaoundé, à Lagos et elle mérite d’être entendue et non jugée.
NB: Les titre, sous-titres et chapeau sont de la rédaction.