La décision du président Alassane Ouattara de ne pas se présenter à un troisième mandat à l’élection présidentielle d’octobre prochain, est certes très appréciée par tous mais comporte quelques zones d’ombre. Dans le texte ci-dessous, Hubert Konan KOFFI, analyste politique, révèle tous les contours cachés de cette non candidature de Ouattara.
Ouattara ne sera pas candidat. Où est le piège ? (Hubert Konan KOFFI)
Jeudi dernier, en face du congrès à Yamoussoukro, Alassane Ouattara a dit qu’il ne sera pas candidat en 2020. Cela fut une surprise pour la plupart d’entre nous car l’homme avait depuis quelques années, laissé planer le doute sur sa participation à la future présidentielle.
C’est vrai, certains disent aujourd’hui qu’il n’avait aucun autre choix, contraint qu’il était par la communauté internationale, et qu’il n y a aucun mérite pour lui à avoir simplement respecté la constitution.
Il est vrai que même s’il a longtemps soutenu le contraire, Alassane Ouattara n’avait pas le droit de se présenter au vu de notre loi fondamentale, ceci dit, s’il avait voulu forcer les choses comme l’ont fait certains de ses pairs, comment aurait pu l’en empêcher cette opposition de salon, cigare en bouche…?
En Afrique, il faut féliciter tout président qui accepte de se plier au règle du jeu. Ne faisons pas la fine bouche et félicitons donc notre cher Président pour cette sage décision. : Congratulations Mr President !!! Maintenant que l’émotion est un peu retombée, nous pouvons nous interroger sur deux axes : les implications directes de cette décision et la manière de se projeter dans le temps par rapport à celle-ci.
« Ouattara en profite pour forcer la main à Bédié et Gbagbo »
Au niveau des implications, nous pouvons retenir directement deux choses : d’abord Ouattara tacle sévèrement le vieux Bédié et Laurent Gbagbo, tous d’eux, comme lui, pouvant difficilement se réclamer membre des jeunes générations à qui l’on doit maintenant transférer le pouvoir.
Comment Henri Konan Bédié, du haut de ses 86 ans, pourrait justifier sa candidature si son jeune frère renonce à un autre mandat, au motif d’être trop âgé pour continuer. Si le Sphinx de Daoukro s’entêtait,il se couvrirait assurément de honte et serait, dans ce cas-là, très facile à battre.
Pour Laurent Gbagbo, c’est pareil, même s’il parvient à se dépêtrer de la procédure à la CPI pour rentrer à temps dans son pays, comment sa candidature pourrait être perçue si ses deux vieux compagnons se sont retirés.
Sentant qu’il est temps de céder le fauteuil, Ouattara en profite pour forcer la main à Bédié et Gbagbo et cela est, du reste, une bonne chose pour la Côte d’Ivoire, car les querelles intestines de cette génération d’héritiers légitimes ou illégitimes, tous trois indignes du père de la nation, ont déjà fait bien assez de mal aux ivoiriens.
La seconde implication, et il ne faut pas du tout s’y tromper, c’est que le régime a forcément une stratégie pour ne pas céder le pouvoir à un autre camp. Alassane Ouattara se retire oui mais s’il n’a pas l’intention de faire en sorte de conserver le pouvoir dans son camp pourquoi a-t-il pris toutes ces mesures contre l’opposition avant de partir ?
Si Ouattara veut simplement s’en aller, pourquoi a-t-il pris soin de neutraliser Soro Guillaume ? Pourquoi a-t-il débarrassé son administration de tous ceux qui lui résistaient ? Pourquoi y a-t-il eu toutes ces persécutions contre les cadres de l’opposition ? Pourquoi ce pouvoir est resté ferme sur les questions relatives à la CEI et à la carte d’identité payante ?….
Pour moi la réponse à ces différentes interrogations est claire : Alassane Ouattara veut offrir une voie royale au successeur qu’il aura désigné .C’est clairement l’intention que l’on peut lui prêter à l’analyse des faits. Même si nous saluons la sage décision de Monsieur Ouattara, elle ne suffit guère à nous rassurer et nous avons dès lors beaucoup de mal à nous projeter sereinement.
Les gages d’une élection transparente et incontestable ne nous sont pas encore donnés. De plus quand il parle de « transférer » le pouvoir, c’est-à-dire selon le dictionnaire Robert : transmettre la propriété d’un bien ou d’un droit, d’une personne à une autre, il s’imagine sans doute que ce sera facile mais il a tort.
Pourquoi Adjoumani et Kandia ont pleuré à l’annonce du retrait de Ouattara
Son autorité dès lors qu’il est hors course suffira- t-elle à tenir en laisse les loups aux dents longues, qui depuis des années rongent leurs freins, attendant cette sortie ? N’est-ce pas en réalité appréhendant cette implosion inévitable de leur parti, que les ministres Adjoumani Kobenan et Kandia Camara ont pleuré à chaudes larmes à Yamoussoukro ?
Oui, si M. Ouattara pense pouvoir imposer son choix même dans son propre camp, je lui prédis une désillusion qui pourrait lui occasionner quelques céphalées. Le choix pressenti d’un Gon Coulibaly par exemple, suscitera des réactions qu’il ne peut contenir et je vous le dis avec certitude…à moins bien sûr que tout ceci ne soit qu’une farce ou chaque acteur sait bien quel rôle il a à jouer, dans l’optique d’un dénouement qui pourrait tous nous surprendre.
D’autre part il serait bon qu’une chose soit claire pour tous : c’est le peuple de Côte d’Ivoire qui est souverain et c’est lui faire injure que de penser qu’on peut lui désigner un président. Une élection est une équation personnelle qui se résout selon le candidat qui se présente aux électeurs.
Tout cela nous savons qu’Alassane Ouattara le sait et qu’il ne peut raisonnablement envisager de braquer le processus électoral par quelque moyen que ce fut, afin de garder la main sur le pouvoir, comme l’en soupçonne déjà une bonne partie de la classe politique ivoirienne.
Pour l’heure nous pouvons conclure que rien n’est encore clair dans le marigot politique ivoirien et que la vigilance reste de mise, surtout quand le Président de la république envisage dans son intervention la possibilité que les élections locales ne se tiennent pas… Qui vivra verra !
Hubert Konan KOFFI, analyste politique [email protected]