Docteure en anthropologie sociale, exerçant en France, Titi Palé se définit également comme chercheuse spécialiste de la crise ivoirienne. Interpelée par la crise préélectorale de 2020 en Côte d’Ivoire, elle nous livre, dans un livre, le résultat de ses analyses documentées et surtout menées en observant le jeu des acteurs de première ligne et leurs calculs et attentes idéologiques, stratégiques et politiques.
Côte d’Ivoire: Titi Palé décortique « La dispute ivoirienne du 3è mandat »
Auteure de plusieurs chroniques sur la Côte d’Ivoire, son pays, Titi Palé vient de sortir un autre ouvrage, le cinquième du genre aux éditions L’Harmattan à Paris, sur « La dispute ivoirienne du troisième mandat », titre éponyme de son livre dans lequel, elle fournit trois clés de lecture pour analyser cet évènement politique de 2020. D’abord, sur la communication politique présidentielle qu’elle dit avoir été maîtrisée et satisfaite d’elle-même au moment de l’annonce du départ volontaire de la scène politique, alors même que la constitution de 2016 autorisait le président sortant à demeurer président au terme de son mandat.
« On a ensuite basculé dans une communication de crise au moment de décider de rester dans le fauteuil présidentiel suite au décès du dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly. La crise s’est d’ailleurs beaucoup cristallisée autour de cette communication qui devenait paradoxale et ambiguë par la force des évènements, les adversaires du président lui reprochant un manque de respect de la parole donnée », explique l’auteure. Titi Palé donne ensuite la seconde clé qui est celle de la difficile succession au sein des appareils politiques ivoiriens forgés au cours des deux décennies de crise politique (1993-2011). « Il y a en effet un au-delà de la thèse officielle, défendue notamment par le président et ses partisans, qui ne veulent pas prendre le risque de la déstabilisation du pays le laissant aux mains de ceux qui ont précédemment échoué à bien le gouverner, ou à se maintenir au pouvoir », dit-elle.
Le livre montre que la structure des partis et des appareils politiques ivoiriens ne permet pas un remplacement au pied levé des leaders désignés. Le maintien en poste d’Alassane Ouattara interroge sur la capacité des cadres de la majorité présidentielle à obtenir la confiance du Président pour prendre sa place. Si Amadou Gon Coulibaly n’est pas irremplaçable, il en faut du temps aux autres pour construire la confiance du Président qui l’avait consacré dauphin. Cette réalité qui relève autant de la personnification du pouvoir que de la rareté des leaders valeureux aux yeux des chefs, dépasse largement le cadre du RHDP et exige des adversaires du président d’interroger leurs propres capacités à passer la main.
« Le Président travaille beaucoup et son bilan économique est inattaquable mais… »
Cette problématique se pose au PDCI et a conduit à la crise de légitimité au FPI, avec, paradoxe majeur, la défection du chef historique de ce parti pour poursuivre sa vie politique dans une écurie nouvellement créée. D’où la troisième clé de lecture, qui est analysée, dans le livre, sous le concept de la tentation gérontocratique qui, par-delà la dispute du troisième mandat, guette le pays. Le livre révèle une histoire peu connue de l’âge limite pour concourir à l’élection présidentielle, et qui ressemble à un arrangement entre membres de la catégorie gouvernante, avec feu Amadou Gon Coulibaly comme chef d’orchestre. La polémique autour de cette limitation d’âge est aujourd’hui relancée. Le livre pense que seul le Président Ouattara a les clés pour y mettre un terme par des moyens démocratiques et constitutionnels qui impose la retraite politique bien méritée aux trois éléphants qui dominent la vie politique ivoirienne depuis trente ans.
« Le Président travaille beaucoup et son bilan économique est inattaquable. Politiquement, il doit faire respirer ce pays qui donne l’impression d’être depuis trop longtemps placé sous la coupe d’un trio présidentiel aujourd’hui de plus en plus âgé. Le président Ouattara doit faire la bonne réforme pour limiter l’âge de la candidature à l’élection présidentielle, ou à défaut aider à la retraite politique des trois éléphants. Lui qui était déjà sur le départ en 2020, ne doit pas céder à la tentation d’être encore en course en 2025, tout en fermant le cycle du règne des trois éléphants, qui ne méritent pas d’être bannis et mis à la porte comme des serviteurs indignes du pays. Leur retraite peut être volontaire et non obtenue par contrainte », suggère Titi Palé.