Dans une contribution, le magistrat Ange Olivier Grah fait l’analyse de l’affaire Mangoua Jacques, président du Conseil régional du Gbêkê, interpellé puis mis sous mandat de dépôt pour l’affaire des armes découvertes à son domicile à Bouaké.
« Affaire Mangoua Jacques » : « Non ce n’est pas au mis en cause d’établir son innocence », répond le magistrat Ange Olivier Grah au procureur Koné Braman
Le samedi 21 septembre 2019, il a été découvert au domicile de Mangoua Jacques, président du conseil régional de Gbêkê sis à N’guessankro, 991 munitions de guerre de 7,62 mm, 49 munitions de fusils de type calibre 12 et 40 nouvelles machettes. Selon le procureur (Braman Koné), ces objets ont été découverts par Kouakou Yao Laurent, gardien de la résidence.
Le Procureur s’abstient volontairement de préciser à l’initiative de qui l’information de cette découverte a été portée à la gendarmerie alors que cette question est fondamentale pour présumer ou non de la culpabilité du maître des lieux. Si c’est à la demande de ce dernier, il est difficile d’imaginer que ce soit de son fait que les colis suspects aient été déposés là.
Si c’est sur la seule initiative du gardien, cela en ferait un suspect potentiel car comment comprendre qu’il puisse porter une telle information à la gendarmerie sans s’en référer à son employeur auparavant. Ensuite, il est difficile de concevoir que le patron soit à l’origine du dépôt des objets du délit dans un endroit aussi accessible au gardien, sans envisager dans une telle hypothèse, une participation de ce dernier à l’infraction, au moins en tant que complice.
Enfin, il est curieux que la responsabilité pénale de ce dernier ne soit pas envisagée alors qu’il est possible que ce soit lui qui ait transporté les colis-là En réalité, la réponse à toutes ces questions se trouvent certainement dans le procès-verbal de la gendarmerie dont curieusement le Procureur ne fait point état. Cela l’est d’autant plus qu’il affirme sans que ça ne semble le surprendre que lorsqu’il est venu faire une perquisition par lui-même, le 24 septembre c’est-à-dire plus de trois jours après la découverte qu’il n’a trouvé aucun élément de preuve sur place.
Cela laisse supposer qu’il y avait déjà eu une première perquisition qui ne peut être que l’œuvre de la gendarmerie puisque c’est elle qui avait été initialement saisie par le gardien. Cela est d’autant plus curieux que selon les dispositions de l’article 67 du code de Procédure pénale, les OPJ ne peuvent effectuer une perquisition dans le domicile d’un particulier qu’avec l’autorisation du Procureur de la République.
Les résultats de la perquisition initiale auraient permis d’expliquer pourquoi, le Procureur Koné Braman a décidé de procéder à une autre par lui-même. Il était important de savoir ce qu’ils mentionnent sur la présence ou l’absence de traces d’escalade sur lesquels les résultats de la perquisition du Procureur intervenue plus de trois jours après la découverte des colis ne semblent pas très pertinentes surtout qu’ils sont non seulement sujets à caution mais plus irrecevables devant un tribunal parce que cette perquisition ne respecte pas les prescriptions de l’article 67 qui prévoient que « les perquisitions et visites domiciliaires sont faites en présence de la personne, au domicile de laquelle l’opération a lieu. Si la personne concernée ne veut ou ne peut y assister, l’opération a lieu en présence d’un fondé de pouvoir qu’elle nomme ou à défaut, de deux témoins n’ayant aucune relation avec la partie plaignante et en dehors des personnes relevant de l’autorité administrative de l’officier de police judiciaire ».
Le Procureur Koné Braman ne fait pas état du respect de ces exigences de telle sorte que tous les constats qu’il a effectués dans le cadre de la perquisition du 24 septembre sont irrecevables devant le Tribunal. Ce qui paraît le plus regrettable, c’est qu’elle ne semble avoir été menée que pour masquer l’existence de la perquisition effectuée par les gendarmes dont on ignore également si elle a aussi respecté les dispositions de l’article 67.
Cela permet d’en induire que les constats effectués par ceux-ci dans leur procès-verbal ne servent nullement la cause du Procureur qui est d’engager des poursuites alors que les circonstances de l’espèce montrent qu’elles sont totalement injustifiées.
« Le parquet obéit à un agenda caché qui n’a rien avoir avec les réalités de sa procédure »
C’est parce que le Parquet est désemparé devant l’absence de tout élément de preuves pertinent impliquant la responsabilité de Monsieur Mangoua qu’il déclare, en violation du principe de la présomption d’innocence, l’énormité selon laquelle « faute d’avoir rapporté la preuve de ce qu’il n’est pas le propriétaire des munitions découvertes, à son domicile, Mangoua Jacques sera traduit devant le tribunal correctionnel suivant la procédure de flagrant délit ».
Non ce n’est pas au mis en cause d’établir son innocence mais au Procureur de prouver sa culpabilité en apportant les preuves selon lesquelles c’est lui qui a transporté et déposé à son domicile, les colis litigieux qui y ont été retrouvés, surtout que les circonstances de cette découverte contredisent une telle version des faits. Faute d’avoir réussi à le faire, il essaie de renverser la charge de la preuve.
De plus, le fait d’entreprendre de mener une perquisition chez une autorité administrative, un responsable politique de l’importance du Président du Conseil régional du Gbêkê sans l’en avertir, c’est-à dire en violation de la loi, là où au minimum la courtoisie administrative vous aurait convié à vous comporter autrement, ne peut que paraître suspect et discréditer l’action du Parquet.
Cela est d’autant plus grave lorsqu’on voit le Procureur de la République, piétiner ce qu’il symbolise en déformant volontairement les faits pour soutenir les poursuites contre une personnalité de l’importance du Président du Conseil général du Gbêkê, Vice-Président d’un des deux partis les plus représentatifs de l’échiquier politique ivoirien, le PDCI alors que le risque de troubles à l’ordre public et les précautions imposées par les impératifs du jeu démocratique, lui imposaient d’adopter la démarche mesurée qui sied tellement à Madame Justice.
Malheureusement, le choix la procédure de flagrant alors que s’il y a évidence comme elle l’exige, elle porte sur les éléments qui l’innocentent et non ceux qui l’incriminent, prouvent si besoin en est que le parquet obéit à un agenda caché qui n’a rien avoir avec les réalités de sa procédure.
Nous pouvons affirmer pour conclure que les poursuites engagées contre Monsieur Mangoua, décrédibilisées par l’attitude suspecte et incompréhensible du Procureur de la République, ne présentent ni les garanties d’un procès équitable, ni au minimum celles du respect des droits de la défense.
Il y a lieu de s’en inquiéter, au regard de notre histoire judiciaire récente, quand on sait qu’il n’y a rien, absolument rien dans ce dossier dont la coloration politique évidente ressemble étrangement à celle d’une Justice aux ordres de la dictature déclarée incarnée par le RHDP dont elle s’obstine contre vents et marées à blanchir les errements.
Ange Olivier Grah