Relations Afrique-France : Une page est en train d’être tournée

Relations Afrique-France : Une page est en train d’être tournée
Par Nazaire Kadia
Publié le 02 septembre 2023 à 21:43 | mis à jour le 02 septembre 2023 à 22:04

Sous nos yeux, l’histoire des relations entre la France et ses anciennes colonies d’ Afrique, a pris le malin plaisir d’accélérer son cours, au point de désorienter tous les acteurs, surtout ceux qui croyaient qu’elle était figée et que ce qui arrivait aux états africains était le fait d’un « déterminisme ».

Relations Afrique-France : "...il faudra rebattre les cartes"

Elle désoriente également tous ceux qui croyaient en son mouvement, mais pensaient pouvoir lui donner une orientation conforme à leurs désirs. Tous sont aujourd’hui obligés de revoir leurs calculs et de s’adapter à la nouvelle donne qui se profile à l’horizon. Assurément, un nouveau jeu avec de nouveaux acteurs va s’imposer à tous, où il faudra rebattre les cartes et faire une nouvelle distribution.

C’est un truisme de le dire, la France dans ses relations avec ses anciennes colonies, n’avait pas vu passer le temps, ni les générations. Pour elle, le temps est figé et elle n’a pas changé le regard qu’elle a toujours posé sur les pays africains. C’est ce qui explique sa surprise quant à la contestation de sa présence et de son influence dans de nombreux pays africains, qu’elle assimile à un sentiment anti-français.

Des voix plus autorisées l’ont dit, ce n’est guère un sentiment anti-français, mais le rejet de la politique africaine de l’élite politique française, faite d’arrogance, de suffisance, de paternalisme, de condescendance, et surtout d’infantilisation des africains. Au sortir des « indépendances » qu’elle a octroyées à ses anciennes colonies, la France a toujours gardé une mainmise sur celles-ci et dictait toutes les conduites à avoir. Elle était présente partout, dans tous les secteurs de la vie de ces pays. Jusqu’à une date assez récente, ses « coopérants » écumaient les ministères des pays africains et étaient les vrais décideurs dans ces ministères. Ceux des pays qui ne voulaient pas marcher droit, ont eu leur lot de tribulations orchestrées par la France. On a encore en mémoire, la fausse monnaie imprimée en France et déversée en Guinée pour punir Sékou Touré et mettre à mal l’économie de la Guinée.

On se souvient également des coups d’états fomentés et soutenus par la France pour se débarrasser des présidents qui avaient des velléités de s’écarter de la ligne conduite tracée. Le président Sylvanus Olympio du Togo en a été victime.

Que dire de la République centrafricaine ? La France y a fait et défait les présidents au gré de ses humeurs. Certains de ces présidents centrafricains arrivaient dans un avion français et se retrouvaient à la présidence à leur descente d’avion. Qui ne se souvient pas du ridicule sacre de Bokassa comme empereur du Centrafrique sous le regard bienveillant et protecteur de la France ?

Que dire également de la « glorieuse » épopée du mercenaire Bob Denard, soutenu par les services secrets français pour faire et défaire des présidents aux Comores ? On ne saurait oublier son échec au Bénin où il a tenté de se débarrasser du président Mathieu Kérékou.

C’était donc l’âge d’or, et la belle époque où la France régentait tout. Elle était obéie au doigt et à l’œil. Elle s’est arrogée le droit de parler au nom des pays africains de la sphère francophone à l’Onu. Ce qui lui donne l’opportunité de soumettre des résolutions sur mesure au Conseil de Sécurité de l’Onu, relativement à ces pays. Une fois adoptée, elle se chargeait de l’application quitte à aller au-delà de la portée de ces résolutions. Le bombardement des camps militaires ivoiriens, de la résidence du chef de l’Etat ivoirien en 2011 en sont la preuve.

Les entreprises françaises dans ces anciennes colonies, pouvaient s’offrir des pans entiers de l’économie, sans que cela ne gêne. Elles pouvaient s’offrir des marchés publics sans appel d’offres et être en position de monopole et cela « ne va pas quelque part ».

Mais si cet état de fait a été accepté hier, aujourd’hui les nouvelles générations ne l’acceptent plus. Elles ne sauraient accepter cette mainmise et cette omniprésence françaises qu’elles trouvent étouffantes. Ces nouvelles générations s’interrogent encore sur la présence des bases militaires sur leur sol ; d’autant plus que ni la Grande Bretagne, ni le Portugal encore moins l’Espagne qui furent également des pays colonisateurs, n’en disposent dans leurs anciennes colonies et ne s’ingèrent nullement dans les affaires intérieures de celles-ci. Qu’est ce qui fait alors courir la France ?

Aujourd’hui avec les déboires qui sont ceux de la France au Mali, au Burkina Faso, en Centrafrique au Niger et certainement ailleurs, il ne serait pas faux d’affirmer qu’une page de l’histoire commune entre la France et ses anciennes colonies est entrain d’être tournée. Qu’un jeune capitaine d’une trentaine d’années, comme le président de la transition burkinabé, Ibrahim Traoré ose tenir tête à la « grande » France, qu’un autre Colonel du Mali, Assimi Goïta applique la réciprocité aux décisions de la France, est le symbole achevé que l’eau a coulé sous le pont et qu’un ressort est cassé dans les rapports France –Afrique.

Ces jeunes chefs d’Etat se sont rendus à l’évidence que la France n’est forte que lorsqu’elle utilise ses anciennes colonies comme un escabeau, dans le silence et la faiblesse coupables des dirigeants. Ils ont remarqué le grand respect que voue la France au Rwanda de Paul Kagamé, à l’Algérie ou Maroc. Ces pays ont imposé le respect de leur souveraineté et de leurs choix stratégiques. Les nouveaux dirigeants africains n’en demandent pas moins. Ainsi la France qui nomme un ambassadeur homosexuel au Burkina Faso, n’oserait jamais le faire en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. Elle n’oserait jamais y envoyer son ambassadeur LGBTQ!

Ce sont ces petits détails qui exaspèrent les africains.

Il est temps que la France se rende à l’évidence que les temps ont changé, les générations aussi. Sa coopération avec les états de son ancien empire colonial ; n’a pas été un choix délibéré de ceux-ci. Elle s’impose à eux.

De l’exploration à la décolonisation, en passant par la pénétration, la conquête, la pacification et la colonisation, c’est elle qui a toujours tracé la trajectoire de cette coopération et l’a modulée au gré de ses intérêts. Cela ne peut plus continuer.

Les nouveaux dirigeants africains entendent poursuivre la coopération mais en quittant la posture du cheval et du cavalier. Bien plus, nouer de nouveaux partenariats avec la Chine, la Russie, la Turquie ou l’Iran sans recevoir de leçons ou de sermons de qui que ce soit. Voilà la nouvelle donne que tout le monde se doit d’intérioriser et d’adopter.

L’histoire est une évolution...

Ainsi va l’Afrique.

Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.


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